NAVIgaTIOn EVéneMEnTIeLLe

(En réponse à une question des Observateurs des Médias, 
groupe de contact sur LinkedIn)
Comment je fais ma veille média aujourd'hui, me demandez-vous?

Comme tout le monde, modestement, personnellement, empiriquement; De manière essentiellement intuitive et forcément parcellaire, avec lucidité quant aux limites techniques de l'exercice. Et, probablement, un sens critique plus aiguisé que la moyenne, en fonction d'une approche théorique relativement bien modélisée.
Laquelle est basée sur la dynamique des flux événementiels et l'attention portée par l'homme averti aux phénomènes dissipatifs ou disruptifs dans l'actualité. Selon un postulat célèbre, formulé par Georges Braque: "seul l'imprévisible crée l'événement" - Prigogine parlait, lui, des accidents, des bifurcations de l'histoire...
Concrètement, cela veut dire que je suis, tout comme vous, un navigateur involontairement embarqué sur un cours événementiel aux eaux plus ou moins vives et tumultueuses (vitesse et pression médiatique sont inversement proportionnelles, un paradoxe que bien peu réalisent). Des flots tantôt calmes tantôt agités, charriant bois morts, petits esquifs aventuriers ou gros rafiots médiatiques, d'où les hommes guettent tant bien que mal les repères du paysage macro-historique, les balises d'aide à la navigation (signaux sociaux, économiques, politiques) comme les dangers environnementaux et les écueils affleurants qui menacent.
Dans ces conditions précaires, voire dangereuses quand le cours des faits se fait torrentiel dans des rapides qui se démultiplient, il est illusoire de vouloir garder une totale maîtrise de la veille informative ou même une vision synoptique, panoramique, de l'ensemble des actualités et des médias ou réseaux sociaux qui accompagnent leur flux.

Donc, en matière de veille média à l'ère de l'hyperaccélération et de la réalité augmentée, il s'agit de se faire à quelques idées-clés telles que:
1. tout observateur est de facto acteur de ce qu'il observe;
2. la perception qu'il en a ne peut qu'être subjective, fugitive, segmentée et parcellaire;
3. la veille observatrice ne peut se reposer que sur des choix médiatiques forcément restreints (tels titres de presse, tels canaux de télédiffusion, tel ou tel réseau social suivi par priorité à d'autres), ainsi que,
4.un nécessaire croisement/recoupement, toujours utile, des diverses sources d'information (officielles, officieuses, citoyennes, activistes, etc.) comme des signaux socio-goniométriques émis par les grandes balises informatives (agences, chaînes radio-télé en continu) et communicatives (communication institutionnelle, sondages, etc.).

Voilà comment je survis dans le monde mouvant des technoscapes, médiascapes et autres ethnoscapes décrits par le socio-anthropologue Arjun Appadurai dans "Modernity at large, Cultural Dimensions of Globalization", (moins bien titré en français "Après le colonialisme"), essayant de ne pas me laisser noyer dans le flot quotidien croisé de mes timelines de networker, ni submerger par la masse des infos "googelisées" de la connecting TV. Avec deux ou trois titres (tout au plus) de presse écrite quotidienne ou hebdomadaire en guise de cartes d'état-major pour affronter ce terrain hostile. Et l'écran de mon iPhone en guise de GPS au cas où je m'égarerais dans le vaste champ de la communication globale...

Voilà comment un nomade de la communication organise sa veille média de bivouac en bivouac, en conditions de survie, tant bien que mal. Et vous, ça va, dans la station radar?

(JD)